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Négocier en équipe : partir du bon pied

Pourquoi parler d’équipe en négociation ?

On croit souvent qu’un « bon négociateur » suffit à tout régler. C’est encore plus faux dès que les enjeux deviennent complexes : gouvernance, contrats stratégiques, e‑réputation. Les études menées par Bain & Company, un cabinet international de conseil en stratégie fondé à Boston en 1973, montrent que les entreprises qui réussissent le mieux s’appuient sur des équipes dirigeantes capables de travailler ensemble selon cinq comportements clés : direction (un but commun), discipline (des décisions claires), collaboration, dynamisme et énergie. Ces données proviennent de milliers d’entretiens et d’analyses financières comparatives. Autrement dit, la performance collective n’est pas une intuition : c’est une corrélation observée dans la réalité.

Les cinq comportements clés selon Bain & Company

Direction : c’est la capacité de l’équipe à partager un but clair et à s’y tenir. Sans direction, chacun tire dans son sens et la négociation se disperse.
Discipline : elle consiste à prendre des décisions nettes et à les exécuter sans tergiverser. Une équipe indécise perd du temps et de la crédibilité.
Collaboration : c’est la confiance et la responsabilité mutuelle. On ne se contente pas de « bien s’entendre », on s’engage à résoudre les problèmes ensemble.
Dynamisme : il s’agit de la faculté d’adaptation. Quand le contexte change, l’équipe ajuste ses options sans perdre son cap.
Énergie : c’est la persévérance et l’endurance. Une négociation longue ou tendue exige de tenir la distance sans s’épuiser.

Pourquoi ces notions comptent ? Bain & Company, cabinet de conseil fondé en 1973, a analysé des centaines d’équipes dirigeantes dans le monde. Les entreprises où ces cinq comportements sont présents affichent une croissance et une rentabilité supérieures à la moyenne. Ces données proviennent d’enquêtes mondiales et de benchmarks financiers.

Exemple concret : Dans une acquisition, un avocat seul peut négocier les clauses, mais il ne verra pas forcément l’impact d’un communiqué ou d’une rumeur interne. Une équipe bien organisée — avec un responsable du fond, un responsable de la relation, un scripteur et un « groupe critique » chargé de tester les hypothèses — sécurise le droit, protège la relation et capte les signaux faibles qui font basculer une négociation.


Le moteur caché : la sécurité psychologique

Ce concept vient des travaux d’Amy Edmondson, professeure à Harvard Business School, qui a publié en 1999 dans la revue scientifique Administrative Science Quarterly. Elle a démontré que les équipes où chacun peut parler sans crainte (poser une question, signaler un risque, reconnaître une erreur) apprennent plus vite et réussissent mieux. Cette idée a été confirmée par Google dans son projet « Aristotle », qui a étudié 180 équipes : le facteur le plus prédictif de performance n’était ni le diplôme ni la hiérarchie, mais la sécurité psychologique.

Exemple : Dans une négociation sur une clause de responsabilité, un collaborateur junior ose dire : « Si nous laissons cette clause telle quelle, le montant des indemnisations pourrait exploser. ». L’équipe corrige la clause et évite un litige. Sans ce climat, l’alerte reste tue et le risque explose après signature.


La méthode qui donne un langage commun : la négociation raisonnée

Cette approche a été développée par le Program on Negotiation de Harvard, un centre de recherche reconnu mondialement. Elle reposait, à l’origine en 1981, sur quatre principes :

  1. Séparer les personnes du problème.
  2. Se concentrer sur les intérêts plutôt que sur les positions.
  3. Inventer des options qui créent des gains mutuels.
  4. Adosser l’accord à des critères objectifs (normes, jurisprudence, données fiables).

Exemple : La partie A exige un remboursement intégral avec pénalités. La partie B refuse toute pénalité. Si l’équipe applique la méthode raisonnée, elle clarifie ses intérêts (rassurer les clients, sécuriser les délais), propose des options (avoir de sécurité, remise échelonnée, audit par un tiers) et appuie ses propositions sur des critères (taux d’incidents, décisions récentes). On passe d’un duel de volontés à une solution contrôlable.

En 2024, William URY a revu sa copie et publié une modélisation beaucoup plus complète, BB3.


Prévenir les conflits : la négociation de projet

En prévention, la clé est la préparation collective. Les experts de Harvard Business Review, revue internationale de référence en management, recommandent des rituels simples :

  • Une réunion de lancement pour fixer le but, les rôles, les règles et les critères.
  • Une préparation courte avant chaque échange.
  • Un retour à chaud après chaque réunion pour décider un ajustement.
  • Un retour d’expérience tous les quinze jours pour améliorer la méthode.

Ces pratiques, validées par McKinsey et Bain, réduisent les malentendus et accélèrent la prise de décision.


Résoudre les conflits : cadrer et maîtriser

Quand le climat est tendu, la tentation est de répondre à l’agressivité par l’agressivité. Mauvaise idée. Harvard Business Review décrit trois schémas qui sabotent les équipes : le « bassin de requins » (guerre interne), le « zoo caressant » (éviter le conflit) et la « médiocratie » (baisse d’exigence). La solution ? Un cadre clair : agenda, tours de parole, critères. Et si cela ne suffit pas, une médiation pour réinstaller des règles.

Trois schémas qui sabotent les équipes

Le bassin de requins : c’est la guerre interne. Les membres se battent pour le pouvoir, chacun défend son territoire. Résultat : les décisions sont lentes, biaisées, et la négociation devient un champ de bataille.

Le zoo caressant : ici, tout le monde évite le conflit. On se sourit, on se félicite, mais on ne traite jamais les vrais désaccords. Les problèmes s’accumulent en silence et explosent plus tard.

La médiocratie : c’est la baisse d’exigence. On tolère des standards faibles pour « avoir la paix ». Les décisions sont molles, les résultats médiocres, et la confiance s’effrite.

La solution ? Un cadre clair : un ordre du jour précis, des tours de parole équilibrés, et des critères objectifs pour trancher. Si cela ne suffit pas, une médiation permet de réinstaller des règles et de restaurer la coopération.


Mesurer pour progresser

On n’améliore que ce qu’on mesure. McKinsey recommande de suivre cinq indicateurs simples : clarté du but, charge, qualité des décisions, traitement des désaccords, liberté de parole. Chaque semaine, on discute un seul point faible et on teste une action. Cette boucle transforme une équipe « sympathique » en équipe fiable.

Clarté du but

Exemple :
Avant la réunion, l’équipe se demande : « Que voulons-nous obtenir aujourd’hui ? ». Si la réponse est floue (« avancer sur le dossier »), la clarté est faible. Si la réponse est précise (« valider la clause de confidentialité et fixer la date de signature »), la clarté est forte.


Charge

Exemple :
Une équipe qui enchaîne dix réunions en trois jours sans temps de préparation ni debrief est en surcharge. À l’inverse, une équipe qui répartit les tâches, prévoit des pauses et limite les points à traiter à l’essentiel maintient une charge soutenable.


Qualité des décisions

Exemple :
Une décision de qualité est tracée, comprise par tous et appliquée sans ambiguïté. Si, après la réunion, chacun interprète différemment la clause validée, la qualité est faible. Si la décision est écrite, partagée et respectée, la qualité est élevée.


Traitement des désaccords

Exemple :
Dans une négociation, un membre soulève un risque. Si le groupe l’ignore pour « gagner du temps », le désaccord reste enfoui et ressurgira plus tard. Si le groupe prend dix minutes pour écouter, analyser et décider, le désaccord est traité.


Liberté de parole

Exemple :
Lorsqu’un junior ose dire « Je pense que cette option est risquée » sans crainte de représailles, la liberté de parole est forte. Si personne n’ose contredire le responsable, même sur un point critique, elle est faible.


Un détour utile : apprendre vite, décider mieux

Abbott est un groupe de santé mondial. Il a développé un capteur de glucose en continu, d’abord sous la forme du FreeStyle Navigator. Ce premier dispositif fonctionnait, mais il était trop encombrant, coûteux et difficile à fabriquer, et il n’a pas été adopté massivement. L’entreprise a alors revu sa copie : elle a redéfini des critères simples et objectifs (facilité d’usage, coût, fiabilité industrielle, taille du capteur, intégration avec le smartphone) et a conçu FreeStyle Libre, un capteur plus petit et plus simple à utiliser. Ce second produit a été adopté à grande échelle et est devenu un succès mondial. [unibocconi.it], [phys.org].

L’exemple d’Abbott et de son dispositif FreeStyle Libre, raconté dans Harvard Business Review, illustre la puissance de l’apprentissage collectif. Après un premier échec, l’entreprise a recentré ses critères (usage réel, coût, confort), puis a itéré rapidement jusqu’au succès mondial. En négociation, la logique est la même : calibrer, tester, mesurer, ajuster.


Et l’influence autour de la table ?

Dans certains dossiers, la coalition compte autant que la table. Des études publiées par HBR et l’American Marketing Association montrent que des nano‑influenceurs, petits mais engagés, peuvent peser plus que des stars. En e‑réputation, rallier ces alliés crédibles peut faire pencher la balance à moindre coût.


Conclusion

Que vous négociiez un projet ou un conflit, la clé n’est pas la posture mais la discipline collective : clarifier le but, répartir les rôles, préparer et débriefer, mesurer ce qui compte, apprendre chaque quinzaine. Et surtout, rester fidèle à ce principe : être dur avec les problèmes, doux avec les personnes — la Justice négociée est un sport de combat.

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